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Haïti | Vaccin préventif
Difficultés à mettre en place un Comité d’éthique en Haïti et perspectives
21 mars 2002 (Union des Médecins Haïtiens)
PARIS, 21 mars 2002 (Union des Médecins Haïtiens)
Haïti : essais de vaccins et néo-colonialisme
Préparé par Danielle Comeau, Vice-présidente de l’UMHA (Union des Médecins Haïtiens), dans le cadre du Forum latino-américain des Comités d’éthique.
Cadre juridique et historique de l’exercice de la profession médicale en Haïti
Contrairement à ce qui se donne à voir et à penser en toute logique, il existerait bel et bien un Comité d’Ethique actuellement en Haïti. Et si l’on remonte l’histoire, on retrouve en Haïti dès 1807 des traces de tentatives de promouvoir la dimension éthique de la médecine en Haïti. (Art10 Loi du 20 avril 1807)
Malheureusement ces différentes initiatives semblent répondre à des situations conjoncturelles et sont inscrites dans la durée.
Deux périodes retiennent particulièrement notre attention à cause du niveau d’effort consenti à règlementer l’exercice de la profession médicale en Haïti :
- La première moitié du 19ème siècle avec la loi 17 juin 1847 portant création du Jury Médical
- La période de la première occupation américaine
Entre temps des efforts sporadiques seront déployés surtout pour structurer l’enseignement de la médecine
La première moitié du 19ème siècle
La loi du 17 juin 1847 consacre la naissance du Jury Médical qui, dans ses prérogatives, avait un rôle rapproché de ce que pourrait être un comité d’éthique dans le langage moderne.
L’art 21 de cette loi stipule ,à titre d’illustration : "Le Jury Médical est appelé à donner son avis sur les contestations en matière de notes d’honnoraires des médecins et de comptes de pharmaciens."
Plus loin l’article 31 de cette loi déclare : "Le Jury Médical se constituera, s’il y a lieu en société médicale. Dans ce cas ses fontions consistent à réunir et à présenter tous les faits de la pratique, publics et particuliers, à discuter et à mettre en évidence les opinions et les méthodes qui ont le plus de succès.
Dans ces 2 exemples une certaine fonction éthique du Jury Médical est esquissée : Préserver les bénéficiaires de soins d’éventuels abus, éprouver les opinions et les méthodes afin de garantir les meilleurs soins à la population.
Malheureusement ce précoce début ne connaîtra pas de suite tout au long du 19ème siècle. Il faudra attendre la période de l’occupation américaine pour retrouver certaines initiatives se rapprochant certes, dans un autre esprit, d’une telle dynamique.
La période de la premiere de l’occupation 1915
Au cours de cette période, l’accent sera surtout mis sur la répression des pratiques non officielles. Dans le contexte haïtien on comprend aisément qu’une telle sévérité vise d’une part, à marginaliser la médecine traditionnelle et à renforcer les politiques d’exclusion de la communauté rurale base de résistance aux projets modernisateurs de l’occupant et assurer le monopole de la pratique médicale à ceux formés à la médecine conventionnelle. Il faut rappeler qu’en Haiti surtout à cette époque la grande majorité de la population s’adressait aux tradipraticiens pour satisfaire ses besoins en santé. Aujourd’hui encore la médecine conventionnelle ne vient qu’en apport à la medecine traditionnelle. Historiquemennt cette dernière a toujours été considérée par l’élite comme un champ de pratiques barbares à réprimer.
D’autre part, la loi du 24 février 1919 sur l’organisation du Service National d’Hygiène en mettant fin aux attributions du Jury Médical consacre la main mise de l’occupant sur le système national de santé. Au total,au cours de cette période, 21 lois et arrêtés en vue de légaliser la mise sous tutelle des médecins haïtiens et de la population haïtienne seront promulgués. Ces lois, à travers les mécanismes de surveillance institués, ne visaient nullement à introduire une quelconque dimension éthique dans l’exercice de la profession médicale. On était loin de l’idée d’un comité d’éthique.
Après le retrait de l’occupation américaine, le président Sténio Vincent publiera des décret -lois allant dans le même sens. Les infractions commises seront desormais poursuivies devant la Juridiction Correctionnelle.
Avec les années de la dictature duvaliériste il s’agira beaucoup plus de coopter les médecins, de vassaliser l’exercice et l’enseignement de la médecine. On cite même des cas de participation de médecins à des séances de torture.
C’est à regret que l’on constate, à travers ce bref et rapide rappel historique, que tant du côté des pouvoirs publics, des professionels de la santé que de la société civile, la tendance à créer les mécanismes pouvant faciliter l’émergennce d’un comité d’éthique n’existe pas.
Cadre social et culturel
Dans une société fortement hiérarchisée comme la société haïtienne, le prestige universellement lié au statut de médecin prend ici l’allure de pivilège élitiste. La relation médecin-malade y est entachée de distanciation sociale. D’un côté, le médecin lettré détenteur d’un savoir le renvoyant au rôle d’un dieu, de l’autre le patient analphabète fragilisé économiquement et socialement ignorant ses droits : la relation établie dépassera le paternalisme pour frôler par endroit le mépris. Le médecin niera au malade jugé inférieur le droit aux informations sur sa pathologie et sur les thérapeutiques qui lui seront dans la plupart des cas imposés.
Dans les cas de fautes profesionnelles la responsablilité médicale est rarement établie du fait en partie de la notion de maladie en Haïti. La maladie est un sort jeté une punition des dieux, une épreuve du Créateur. La responsablité médicale quand elle sera posée renvoie à un vide juridique ( absence de dispositions légales) et organisationnel (pas d’Ordre des Médecins) .
Il existe manifestement un blocage socio-culturel à l’émergence d’un comité et à l’acceptation d’un comité et d’un code national d’éthique par la corporation médicale haïtienne. La situation sociale du médecin haïtien, sa vision de la société dans laquelle il évolue, la manière dont il appréhende son statut constituent de véritables entraves en ce domaine.
Par rapport à la médecine traditionnelle il manifeste une double attitude tendant à le conforter dans une position privilégiée qui l’empêche d’avoir un recul par rapport à sa propre praxis. La médecine traditionnelle qui s’occupe de la grande majorité de la population, 70 pour cent (70 %) de la population, mais marginalisée exclue lui sert d’un côté de repoussoir en même temps de cadre de référence valoriel.Tout se passe comme si face à cette autre médecine décriée, dévalorisée son diplôme lui conférerait en soi une autojustification éthique. D’autre part, son statut social privilégié dans cette société duale le porte à lui dénier toute capacité à questionner sa fonction. Il représenterait à ses propres yeux la crême de l’élite, le pôle avancé de la modernité vers laquelle devrait tendre l’ensemble de la société. Aucune instance endogène ne saurait donc être qualifiée à lui demander de compte. Concevoir un code éthique et plus encore un comité chargé de veiller à son application serait de la suspicion malvenue. Une telle démarche devrait s’adresser exclusivement aux tradipraticiens accusés de perrenniser des pratiques barbares qui avilissent la médecine. Ainsi code et comité d’éthique auraient déjà un champ d’application, une fonction naturels : protéger la médecine officielle de la concurrence néfaste des tradipraticiens. Il faudra donc attendre des déclarations internationales, des inirtiatives internationales pour qu’au niveau du secteur médical on retrouve un certaine ouverture à la simple possibilité de questionner sa pratique.
Réalité du comité d’éthique actuel
Tout ce que nous avons dit jusqu’ici concerne la pratique médicale en général mais indique déjà les difficultés que l’on va rencontrer à règlementer la recherche médicale en Haïti. Ce qui constitue le champ plus spécifique de notre intervention.
Dans le domaine de la recherche médicale des difficultés avec les aspects académique, technologique, technique et financier d’un autre côté, la situation générale du pays (géographique, politique, économique) lui confère,dans ses relations avec l’extérieur, un statut de dominé qui le situe en champ d’expérimention des firmes pharmaceutiques, laboratoires et universités du Nord. Dans ces conditions l’émergence d’un comité d’éthique pouvant valablement jouer son rôle s’avère particulièrement difficile. Or c’est dans ce contexte de démission de l’état, de troubles politiques, de pression internationale que les mieux avertis entendront parler,( 2 )deux ans après sa création, de l’existence d’un Comité National de Bio-éthique et de Défense des Personnes.
Présentation et fonctionnement du Comité provisoire de bio-éthique et de défense des personnes
Ce comité d’éthique créé à Port-au-Prince par Décision Ministérielle serait composé de 12 associations : des représentants du Ministère de la Santé Publique, de l’Association des Médecins Haïtiens (AMH), de la Conférence Episcopale des Evêques d’Haiti, de l’Aassociation des Infirmieres Licenciées d’Haïti, du Rectorat de l’Université d’Etat d’Haïti, de la Société Civile, du Culte Vaudo, des Droits Humains et du Syndicat des Notaires.
Malgré ce large éventail d’associations apparemment représentées, ce comité d’éthique reste méconnu de la population en général et du corps médical en particulier. Qui connaît le fonctionnement des organisations et institutions Haïtiennes ne s’étonnera pas de cette anomalie. Notons que ce comité d’éthique a été créé par Décision Ministérielle. Ce qui laisse croire qu’il n’a même pas fait l’objet d’un débat au niveau de la Comission Santé de l’Assemblée Nationale. A notre avis, la création de comité répond à deux (2) exigences :
- La nécessité de tenir compte d’une législation internationale en la matière
- Faciliter la bonne marche des expérimentations commanditées par les universités étrangères
En effet, la Décision Ministèrielle créant ce comité provisoire de bioéthique date du 23 décembre 1999, après la publication par le NewYork Times d’un article sur les conditions de recherche aux Centres GHESKIO (histoire des couples discordants). Comme vous le savez les centres GHESKIO, partenaire haïtien de l’Université Cornell, mènent depuis 1982 des études sur le SIDA et les infections opportunistes.
On va comprendre aisément que derrière ce comité se trouve le lobby des expérimentateurs eux-mêmes les plaçant dans la confortable position de juge et parti.
Néanmoins un véritable problème se pose à la conscience de ceux qui,comme l’Union des Médecins Haïtiens (UMHA),sont intéressés à protéger la population haïtienne contre toute tendance à la transformer en cobaye et qui en même temps sont conscients de la nécessité d’encourager la recherche médicale : quelle attitude adopter face à ce comité qui quand même existe malgré les conditions douteuses qui lui ont donné naissance ? Le dénoncer de façon radicale peut nous renvoyer à un vide qui ne sera pas forcément pas comblé par ceux qui voient en lui un instrument très peu efficace pour promouvoir des normes éthiques.
L’attitude de l’UMHA nous semble être la voie médiane à adopter :
- Demander que soient suspendus les essais vaccinaux en cours en attendant que le protocole soit révisé par un comité d’éthique formé à l’initiative de l’Université après un réel débat sur l’éthique médicale et la recherche en Haïti.
- Lancer une campagne pour dénoncer les violations des principes éthiques du protocole de ces essais.
- Informer la population à travers des rencontres et des émissions de radio sur ses droits en matière de santé.
- Dénoncer les conditions ombrageuses entourant la formation de ce comité.
Jusqu’à présent notre campagne a reçu un écho international encourageant mais insuffisant. Au niveau national, l’opinion publique prise en otage par la crise politique a très peu suivie vu également le manque d’engagement des médecins et le faible niveau d’organisation de la société civile.
Perspectives
Les perspectives seront en rapport avec le niveau de difficultés recontrées et des efforts consentis pour les baliser :
Au niveau de la formation
- L’éthique médicale doit être introduite dans le curriculum des différentes facultés de médecine.
- Des séminaires à l’intention des médecins sur les différents aspects du problème devraient être organisés de façon régulière.
- Les codes éthiques internationaux, les déclarations internationales (déclarations d’Helsinki) vulgarisés Créer au sein de la Faculté de Médecine de l’UEH un département de Bioéthique et de Médecine Légale
Au niveau juridique
- Prendre des dispositions pour régulariser et règlementer l’exercice de la profession médicale.
- Poursuivre les initiatives lancées pour créer un ordre national des médecins.
- Adopter un code national de déontologie médicale
- Adopter des normes légales et éthiques tenant compte des spécifcités locales
De toute façon, il faudrait une sensibilisation de la corporation médicale entraînant la mobilisation de la société civile dans le sens d’une prise de conscience des véritables enjeux du problème. Le nouvaeu cadre résultant d’une telle dynamique pourrait contribuer à l’émergence des conditions favorisant la constitution d’un comité d’éthique répondant aux exigences réelles d’une telle institution. Par ailleurs, dans un contexte international où l’humain est transformé en marchandise, où la valeur éthique de référence est la course au profit, dans les pays caraïbéens et latinoaméricains à société fragilisée, à état démissionnaire, seul un sursaut du corps médical régional dans un élan de solidarité peut ensemble ériger les mécanismes capables de protéger nos populations contre toute tendance à les transformer en cobayes et de promouvoir un code éthique caraïbéen.
Nous devons muliplier ces occasions de rencontre, construire des espaces de débat, d’échange susceptibles de produire une synergie de résistance et de promotion d’une médecine au service de l’humain.