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Christian Saout
Enjeux d’une pharmacie de la solidarité : Fermer la pharmacie d’AIDES condamnerait 60 malades du tiers-monde à une mort certaine
7 juin 1999 (Migrants contre le sida)
PARIS, le 7 juin 1999 (Migrants contre le sida)
Aujourd’hui, au moins une soixantaine de personnes malades du sida dépendent, pour l’obtention de leurs médicaments et la continuité de leurs traitements, de l’association AIDES. En effet, AIDES gère une pharmacie qui dispense des médicaments, dont les antirétroviraux, à des malades en France et dans le Tiers monde. Il ne s’agit pas, ici, de revenir sur la manière dont c’est mis en place une telle situation. Ce qui importe c’est que cette situation existe de fait.
Depuis presque deux ans, une militante de Migrants contre le sida obtenait les médicaments pour une trithérapie auprès de l’association AIDES. Ces médicaments étaient envoyés à un proche, gravement malade dans un pays où l’accès aux traitements n’existe pas. Le 12 avril 1999, cette personne s’est vue refuser la délivrance des médicaments. Aucun préavis ne lui avait été donné. On lui a simplement annoncé que la pharmacie venait d’être fermée, et qu’aucun médicament n’était disponible.
Dans l’urgence, nous avons d’abord interpellé M. Hervé ROBERT de AIDES, que nous connaissons car nos deux associations travaillent ensemble dans le cadre du collectif pour une couverture maladie véritablement universelle. Grâce à son intervention, nous avons réussi à obtenir la délivrance des médicaments de la pharmacie, alors que le jour précédent AIDES affirmait que la pharmacie n’en avait plus à disposition...
Selon certains responsables de la Fédération AIDES, une décision aurait été prise de fermer cette pharmacie. D’autres affirment, au contraire, que la question (du maintien des traitements pour ces personnes) n’a jamais été débattue. Aucun des représentants d’AIDES ne s’est exprimé clairement sur la position de la Fédération en la matière.
La seule certitude que nous avons, c’est que les 60 personnes pour qui cette association avait pris en charge la délivrance des médicaments sont aujourd’hui, au mieux, dans l’angoisse et l’incertitude sur la continuité de leurs traitements. Il est clair que d’autres personnes se sont vues, début avril, pour la première fois refuser la délivrance de leurs médicaments. Au pire, ils sont aujourd’hui sans médicaments, en situation d’interruption de traitement. Presque deux mois s’étant écoulées depuis le premier refus de délivrance des médicaments, peut-être subissent-ils déjà les séquelles d’une interruption de traitement involontaire.
Pendant six ans, cette pharmacie de la solidarité a existé par la volonté d’une militante bénévole d’AIDES. Cette femme, étant elle-même malade, parfois très fatiguée, assurant en parallèle un poste de journaliste à la revue REMAIDES, continue d’en assurer la gestion. Son travail exige un suivi quotidien : tri, contrôles, révision et mises à jour des dossiers, écoutes des malades et de leurs proches, soutien... Elle tient à la survie de cette pharmacie, et elle tient à fournir une aide directe pour des personnes malades.
Aujourd’hui, cette personne a une seule demande : de continuer à assurer ce travail de solidarité. Pour y arriver, elle a besoin d’être assistée par un volontaire.
La situation actuelle est insupportable pour les personnes qui dépendent de cette pharmacie et pour leurs proches. Elle est également insupportable pour Migrants contre le sida. Nous ne pouvons accepter la fermeture de cette pharmacie de la solidarité. Le 25 mai 1999, Migrants contre le sida a écrit à Christian Saout, président d’AIDES Fédération, lui demandant :
- de s’engager formellement à fournir les traitements, tant qu’elles en auront besoin, à toutes les personnes qui dépendent de la pharmacie aujourd’hui
- d’affirmer son plein soutien à la volontaire qui assure la gestion de la pharmacie, et de débloquer les moyens nécessaires pour lui permettre d’assumer pleinement ses tâches
- de prendre contact avec les personnes qui dépendent de la pharmacie, et d’organiser une réunion à laquelle seront invitées toutes les personnes concernées, afin d’expliquer l’engagement d’AIDES vis-à-vis de ces personnes
- de prendre en charge le suivi médical, les analyses et les autres frais médicaux liés aux séquelles éventuelles qu’auraient subies les personnes dont le traitement a été interrompu
- de clarifier publiquement ce que fait AIDES en ce qui concerne les situations d’urgence où une personne (qu’elle soit ou non sur le territoire français), gravement malade ou pas, contacte l’association afin de demander des médicaments, le suivi médical nécessaire, et/ou la possibilité de venir se soigner en France. Combien de demandes de ce type sont reçues par AIDES ?
Arnaud Marty-Lavauzelle, alors qu’il était encore président d’Aides, appelait à « des règles de solidarité nouvelles » (Libération, 8 janvier 1998) afin de répondre à l’urgence de garantir l’accès aux traitements dans les pays du Tiers-monde. Pour Migrants contre le sida un tel appel restera peu crédible tant qu’AIDES maintiendra un silence mêlé de honte autour de la disparition de sa pharmacie de la solidarité. Une seule certitude : dans ce cas comme dans celui du Fonds thérapeutique de solidarité internationale (FTSI), comme le résumait M. Marty-Lavauzelle, « ces malades vont mourir de nos promesses non tenues » (Libération, 20 octobre 1998).