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Émission du 20 février 2015 (n° 666) | Émission du 8 avril 2015 (n° 667) | Benlama Bouchaïb | Maroc
Émission du 8 avril 2015 (n° 667)
8 avril 2015 (survivreausida.net)
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Écouter: Émission du 8 avril 2015 (n° 667) (MP3, 59.4 Mo)
Benlama Bouchaïb fait partie de ceux que j’aime. Nous étions frères de lutte depuis longtemps. Il n’existait plus d’espace de liberté pour son expérience singulière. Celui de survivreausida.net lui appartient. Il s’agit donc d’une chronique irrégulière, d’un abonnement sans engagement. Nul ne sait s’il y aura un prochain épisode. Cela vaut d’autant plus la peine d’écouter.
Avec la musique de Saïd Mesnaoui, Klemhaoui (Que des paroles vides), enregistré en live à l’émission Survivre au sida le 12 mai 2006 et dédicacée au Ministère de la Santé du Royaume. Monsieur Bouchaïb, on l’appelle au Maroc. Il reste Ben pour les intimes. On sort d’une rencontre nationale organisée par les amis de l’AMSED, une association marocaine qui m’a invité pour partager l’expérience du premier Comité des familles, celui que j’ai fondé en 2003 et dont l’épopée aura durée une décennie, mobilisant des milliers de familles vivant avec le VIH, accompagnés par les accoucheurs et pédiatres qui les avaient toujours soutenus. Au Maroc, explique Ben, on reconnaît sur papier la place des personnes atteintes. Mais, d’une part, il n’y a pas d’autonomie et, d’autre part, ce qui se fait ne répond pas aux besoins qu’il constate. Ce n’est pas pour sombrer dans la résignation ou la complainte : « C’est le moment de se mobiliser ! » s’exclame-t-il, car le ministère préparerait une nouvelle loi de santé publique. Ben se dit « de la vieille école ». Comme Jimmy, égérie de la lutte des familles en Tunisie, seul séropositif à avoir, à ce jour, témoigné à sourire découvert. « La nouvelle école est présente, mais n’a pas les mêmes préoccupations » et doit, selon Bouchaïb, « encore se construire à travers le VIH »… « J’attends que ça bouge du côté des familles » explique Ben. Car si la prévention se focalise sur les groupes dits vulnérables (homosexuels, prostitués, usagers de drogues), non seulement il y a parmi les personnes atteintes ceux et celles qui ne correspondent à aucun de ces profils, pour qui cela appartient au passé, ou encore qui sont plus susceptibles de s’identifier et donc de se mobiliser dans une dynamique fédératrice autour de la famille. Cela est très différent, en effet, des efforts du mouvement gay, par exemple, qui a au contraire cherché à rendre indissociable sa lutte pour les droits des homosexuels du combat de tous pour l’égalité des droits face à la maladie. Gare de Rabat. On discute sur le quai, en attendant l’arrivée du train qui doit nous emmener à Berrechid, où se trouve le local du nouveau Comité des familles. Un peu d’histoire sociale, des bidonvilles aux immeubles trop vite construits pour les remplacer. Le train passe devant. « C’est le Maroc d’aujourd’hui », résume Ben, celui, dit-il, qui a « pris le TGV », un « pont entre l’Europe et l’Afrique sub-saharienne »… Arrivée. On s’engouffre dans un minuscule taxi bleu jusqu’à la rue où se trouve le local. Visite guidée. J’ai déjà vu les photos prises par Ben lors des activités organisées avec et par les familles. Cuisine, frigo (très bruyant), four à pain et à gâteaux. « Tout ça va être réaménagé, on va mettre des couleurs ! » Ben a déjà organisé un des premiers dépistages à Berrechid. Tout un travail de préparation avec le quartier avant l’arrivée du bus où se réalisent les prises de sang. Mountazem est un lieu de loisir pour tous, à mi-chemin entre la MJC et le Club Méd : manèges, piscine, restaurant, et autres activités y sont proposés. C’est ici que le Comité a organisé une sortie, après le repas au local. Pour certaines d’entre elles, c’était la première fois qu’elles y accédaient. On fait connaissance avec Naïma, qui participe au quotidien de l’association. Elle me posera des questions en privée, mais a encore du chemin à faire avant de prendre la parole. Je ne doute pas que ça viendra. J’espère qu’elle sera écoutée. C’est là le véritable enjeu. Berrechid est sa racine. Il n’est pas ici par hasard. Flashback, 1994. Ben est au Maroc pour enterrer son père. Il tombe nez à nez avec des mourants de l’aile où sont parqués les malades du sida. Il croise Hakima Himmiche, le médecin qui pactisera avec AIDES pour importer son modèle au Maroc. On inaugure ce qui deviendra le pavillon 23, l’hôpital du jour. Il n’oubliera pas. S’il se retrouve dans l’histoire du Comité des familles que j’ai créé en 2003, huit ans après avoir tissé des liens avec l’émission de radio Survivre au sida, c’est parce qu’il croit à la capacité des gens à se relever de l’annonce, du diagnostic. Et aussi leur capacité à se dépasser eux-mêmes, à devenir plus que ce qu’ils étaient, condition nécessaire pour vivre et se soigner dans la dignité. Si c’était facile, si cela pouvait se faire à coup de subvention et de programmes techniques, cela se saurait. Et il n’y aurait pas besoin d’un Bouchaïb. Les instances officielles rêvent de représentants des personnes séropositives à leur image : propres, lisses, bien-pensants, bonnes situations sociales, s’exprimant comme un présentateur gominé de 2M. Présentables, quoi. La réalité est tout autre. La pauvreté, la marginalisation sociale restent la norme. C’est dans la discussion que Ben évoquera où il est en avec sa santé, et pourquoi il mise gros sur la prochaine conférence de Seattle qui doit faire le point sur les nouvelles thérapeutiques. « Mon avenir s’annonce sombre », dit-il. « Il faut que je laisse un message d’espoir sur cette terre, et dire aux malades : continuez ! J’espère que l’équipe que je forme prendra le relais. Je sais que c’est pas évident pour eux… C’est un long combat. J’y crois, parce que j’ai eu la chance de rencontrer l’Alliance et l’AMSED ». Il mise sur la formation, la transmission des savoirs-faire et de la mémoire. « Mais toi, tu viens de France ! » Cette exclamation était sous-jacente dans les réactions de certains militants marocains. Elle mélange subtilement reproche (parfois à la limite de l’injure), mépris et jalousie. J’étais catastrophé de constater qu’on en est encore là : l’émigration soupçonnée d’être déconnectée, accusée de délit de fuite. Alors que Ben est là, contre toute attente, je trouve ces accusations aussi grotesques qu’elles sont injustes. On en parle. La France, seul pays au monde où une population arabe a payé un lourd tribut au sida. L’épidémie arrive au Maghreb par le nord avec les expulsés et les travailleurs immigrés qui rentrent au pays, alors que les pouvoirs publics français savent, disposent de moyens de prévention, mais jouent la montre. Il y a le sang contaminé exporté sciemment par les laboratoires français. Il y a la prohibition des seringues, des drogues et de l’information sur les modes de transmission. In fine, je demande à Ben quelle est sa valeur ajoutée, dans ce paysage marocain où s’affairent déjà des associations épaulées par de grandes instances internationales. « C’est avoir un regard critique, mon expertise de la réalité de terrain, de l’écart entre les besoins et ce qui se fait » il m’explique. Les familles du Comité ont accès aux antirétroviraux. Mais c’est tout le reste qui manque. Paradoxalement, instances et associations ont bien du mal à comprendre ces besoins. L’éternel recommencement… On se retrouve ainsi à expliquer pourquoi aider un père de famille séropositif à trouver un travail, ou encore à nourrir sa famille, contribue directement à la lutte contre le VIH et à la santé publique. Le sentiment de déjà vu me taraude. L’éternel recommencement.
À lire, à écouter
Les articles de cette émission seront disponibles prochainement.
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